Tout récemment j’ai surpris une conversation à propos de l’indispensable bienveillance des enseignants envers leurs élèves dans l’idée de projets réussis ! Et cela m’a ramené quelques années en arrière quand les éducrates ont découvert ce mot pour masquer les raisons véritables du naufrage éducatif : si les élèves échouent c’est en raison du manque de bienveillance de leurs enseignants.
Vous trouverez ci-dessous ce que j’écrivais il y a 8 ans de cela ; c’est toujours d’actualité. J’aimerais simplement insister sur l’idée que si on doit placer cette vertu au cœur de l’enseignement, alors il faut qu’elle s’applique à tous les acteurs et non seulement aux enseignants : il faut aussi éduquer à la bienveillance les élèves (devoir des familles), les parents d’élèves puisque désormais ils sont entrés pleinement dans les écoles, et, enfin et surtout, la hiérarchie, qui elle aussi a de grands progrès à faire en la matière.
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Depuis quelques temps, on ne parle plus
que de cela dans le microcosme éducatif. L’école en général, et les
enseignants en particulier, doivent faire montre de bienveillance envers les
élèves.
Déjà, le rapport de concertation sur la
refondation de l’été 2012 y faisait largement allusion. Lorsque vous faites
une recherche sur le portail officiel Eduscol, la bienveillance est partout,
vous y trouvez pêle-mêle :
le guide de l’école bienveillante, la bienveillance
par l’innovation, l’évaluation bienveillante, l’aide personnalisée bienveillante, la
coopération bienveillante, la prise en charge inter-catégorielle différenciée
et bienveillante, le travail collaboratif et bienveillant, la classe comme lieu
de bienveillance et de construction des connaissances, la communication
bienveillante, la parole vraie d’intention bienveillante, le climat bienveillant,
l’esprit de bienveillance, l’écoute bienveillante, l’équipe bienveillante, la
prise en charge bienveillante, la curiosité bienveillante, la « culture » de bienveillance,
la férule bienveillante (il fallait oser !), la posture bienveillante, l’autorité
bienveillante, l’accueil bienveillant, le regard bienveillant, la houlette bienveillante.
J’arrête là cet inventaire, il y en a tout autant sur Edusphère. Le lecteur
avisé aura compris que l’école du futur sera bienveillante ou ne sera pas. Nous
assistons en direct à la naissance d’un courant pédagogique nommé «
bienveillantisme ».
En filigrane, cette lourde insistance
illustre un reproche à l’endroit des enseignants, qui de toute évidence
manquent cruellement de cette vertu cardinale, devenue à la mode. Que celui
qui a des oreilles entende : les professeurs seraient d’abominables
autocrates, dépourvus d’empathie, sévères, injustes, cruels, se complaisant à
rabaisser leurs élèves, les accablant de mauvaises notes non méritées, se moquant
d’eux à l’envi… L’impopularité avérée des enseignants dans la société n’avait
vraiment pas besoin de ce nouveau coup.
"Disposition généreuse à l’égard de
l’humanité." C’est ainsi que l’on définit le mot bienveillance. Il s’agit donc d’une
qualité humaine louable. Il n’est pas question ici d’affirmer que cette vertu
n’a pas sa place dans l’enseignement. Il s’agit simplement de dénoncer la mise en avant
unique de cette vertu humaniste comme solution nouvelle aux résultats
catastrophiques de l’école française et l’utilisation d’un raisonnement une fois
de plus fallacieux que l’on pourrait résumer ainsi : l’absence de résultats à
l’école trouve son origine dans le manque de bienveillance des enseignants ; si
les élèves échouent c’est car leurs enseignants sont mal disposés envers
eux, leur octroient de mauvaises notes, les moquent, les rabaissent. C’est une
contre-vérité énorme et dangereuse car elle plaît à l’opinion. Faute de vouloir se
pencher honnêtement sur les raisons de l’échec de l’école (les méthodes
pédagogiques inefficaces), les éducrates font d’une pierre deux coups : ils se
dédouanent de toute responsabilité (les enseignants sont malveillants) tout en
restant dans leur champ idéologique qui consiste à occulter le réel. Par
exemple, supprimons les notes ou les évaluations négatives : l’institution est ravie car
les statistiques internes vont monter, tout en s’octroyant les lauriers de
l’humanisme. On pourra nous dire dans quelques temps : vous voyez, depuis que l’école
est devenue bienveillante (bonnes notes à tout le monde) les résultats ont
grimpé. Restera tout de même l’épineuse question des comparaisons
internationales ; une solution à mon sens porteuse serait de ne plus y
participer.
Mais puisque la question de la
bienveillance est à l’ordre du jour, saisissons l'opportunité pour dépasser les poncifs
ci-dessus parés d’un humanisme de pacotille ; il est vrai que la
bienveillance manque cruellement dans l’Éducation Nationale mais pas de la façon que l’on
nous décrit.
Considérons les enseignants: ils sont le niveau zéro de la hiérarchie
de cette usine à gaz, considérés comme de vils exécutants et qui pourtant tout
au long des réformes qui disent la doxa, continuent contre vents et marées à
tenir les classes, les élèves, leurs parents. Qui, chaque jour doivent affronter
solitude, désarroi, agressions, découragement, manque de moyens devant des
classes de plus en plus difficiles, des parents d’élèves de plus en plus
intrusifs. Tout cela pour une reconnaissance sociale nulle et un salaire se
réduisant comme peau de chagrin, parmi les plus bas en Europe. Où est la
bienveillance dans cela ?
Considérons les élèves. Notre
système est malveillant envers eux, on en raison de la méchanceté des
enseignants, mais simplement parce que l’école ne parvient pas à les instruire
tous. Notre système est malveillant enversles élèves parce qu’il ne leur permet
pas de bénéficier de méthodes pédagogiques efficaces. Notre système
est malveillant envers les élèves issus de classes sociales défavorisées car il ne
les laisse de côté et refuse de prendre en compte les quantités de données
probantes qui permettraient à leurs enseignants de les faire réussir.
Non, la
bienveillance ne consiste pas à faire croire aux élèves et à leurs parents
qu’ils ont réussi quand c’est faux. Elle consiste à les faire véritablement
réussir. Cela impliquerait une véritable et profonde remise en question des
méthodes pédagogiques officielles, ainsi que le choix audacieux de s’appuyer
sur les données probantes, plutôt que sur des considérations idéologiques
devenues aujourd'hui obsolètes.
Oui, je suis d’accord pour parler de
bienveillance à l’école, mais honnêtement et sans se voiler la face. L’école échoue
depuis des années mais ce n’est pas à cause des enseignants. Elle échoue à
instruire les élèves car elle échoue à former des enseignants efficaces et à
leur donner les moyens de travailler correctement. L’enseignant est sans
cesse culpabilisé, infantilisé et accusé de tous les maux ; il serait temps que les
véritables décideurs assument enfin leurs responsabilités, et s’ils sont
véritablement convaincus du rôle de l’école publique dans la société, prennent enfin des
décisions allant dans le bon sens.