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mardi 6 septembre 2022

Anéantir - Michel Houellebecq 2022

 


Parce qu’il décrit de manière extrêmement réaliste notre société et se plaît à nous plonger dans cette sinistrose ambiante, Houellebecq est admiré ou détesté. Il nous oblige à entrer dans le réel, et cela ne plaît pas à tout le monde. Il se dit lui-même « écrivain de la souffrance ordinaire ». En ce sens, il est égal à lui-même dans son dernier ouvrage Anéantir.

L’objet livre est magnifique et sobre, le contenu est à la hauteur du titre mais avec à mon sens un déséquilibre entre la première partie et la deuxième. Enfin, c’est ainsi que personnellement, je l’ai perçu. Un début très fort, dynamique, tous les éléments d’un bon thriller sont là : attentats en mer, messages vidéo truqués mettant en scène la décapitation d’un ministre, DGSI, un soupçon d'ésotérisme, tout cela dans les coulisses d’une campagne présidentielle. La lecture avance vite. Mais alors que l’on est dans l’expectative, voilà que l’homme de la souffrance ordinaire revient à sa nature profonde et alors l’intimité des personnages prend le pas sur l’intrigue, : on y trouve les passions tristes habituelles comme la mort, la maladie, la vieillesse, mais aussi les relations conjugales, la religion, le rapport au père, le tout narré dans une précision chirurgicale tout comme le cancer de la langue et de la mâchoire dont est finalement affecté le héros Paul Raison.

De cette lecture, je vous livre cette petite madeleine, tant elle colle au moment présent:   « Au fond, avait finalement dit Bruno à Paul, le président a une conviction politique, et une seule. Elle est exactement la même que celle de tous ses prédécesseurs et peut se résumer en une phrase : Je suis fait pour être président de la République. » Mais, c’est une fiction, toute ressemblance avec des personnages existant ou ayant existé serait purement fortuite.

Le roman commence ainsi : « Certains lundis de la toute fin novembre, ou du début de décembre, surtout lorsqu’on est célibataire, on a la sensation d’être dans le couloir de la mort ». C'est bien de cela qu'il s'agit, Michel Houellebecq nous conduit dans ce couloir de 730 pages et sa plume nous incite à l'y suivre jusqu'au bout.

Il se termine ainsi : « Nous aurions eu besoin de merveilleux mensonges. »

 

dimanche 4 septembre 2022

La bienveillance à l'École, encore et toujours


Tout récemment j’ai surpris une conversation à propos de l’indispensable bienveillance des enseignants envers leurs élèves dans l’idée de projets réussis ! Et cela m’a ramené quelques années en arrière quand les éducrates ont découvert ce mot pour masquer les raisons véritables du naufrage éducatif : si les élèves échouent c’est en raison du manque de bienveillance de  leurs enseignants.

Vous trouverez ci-dessous ce que j’écrivais il y a 8 ans de cela ; c’est toujours d’actualité. J’aimerais simplement insister sur l’idée que si on doit placer cette vertu au cœur de l’enseignement, alors il faut qu’elle s’applique à tous les acteurs et non seulement aux enseignants : il faut aussi éduquer à la bienveillance les élèves (devoir des familles), les parents d’élèves puisque désormais ils sont entrés pleinement dans les écoles, et, enfin et surtout, la hiérarchie, qui elle aussi a de grands progrès à faire en la matière.


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Depuis quelques temps, on ne parle plus que de cela dans le microcosme éducatif. L’école en général, et les enseignants en particulier, doivent faire montre de bienveillance envers les élèves.

Déjà, le rapport de concertation sur la refondation de l’été 2012 y faisait largement allusion. Lorsque vous faites une recherche sur le portail officiel Eduscol, la bienveillance est partout, vous y trouvez pêle-mêle : 

le guide de l’école bienveillante, la bienveillance par l’innovation, l’évaluation bienveillante, l’aide personnalisée bienveillante, la coopération bienveillante, la prise en charge inter-catégorielle différenciée et bienveillante, le travail collaboratif et bienveillant, la classe comme lieu de bienveillance et de construction des connaissances, la communication bienveillante, la parole vraie d’intention bienveillante, le climat bienveillant, l’esprit de bienveillance, l’écoute bienveillante, l’équipe bienveillante, la prise en charge bienveillante, la curiosité bienveillante, la « culture » de bienveillance, la férule bienveillante (il fallait oser !), la posture bienveillante, l’autorité bienveillante, l’accueil bienveillant, le regard bienveillant, la houlette bienveillante. 

J’arrête là cet inventaire, il y en a tout autant sur Edusphère. Le lecteur avisé aura compris que l’école du futur sera bienveillante ou ne sera pas. Nous assistons en direct à la naissance d’un courant pédagogique nommé « bienveillantisme ».

En filigrane, cette lourde insistance illustre un reproche à l’endroit des enseignants, qui de toute évidence manquent cruellement de cette vertu cardinale, devenue à la mode. Que celui qui a des oreilles entende : les professeurs seraient d’abominables autocrates, dépourvus d’empathie, sévères, injustes, cruels, se complaisant à rabaisser leurs élèves, les accablant de mauvaises notes non méritées, se moquant d’eux à l’envi… L’impopularité avérée des enseignants dans la société n’avait vraiment pas besoin de ce nouveau coup.

"Disposition généreuse à l’égard de l’humanité." C’est ainsi que l’on définit le mot bienveillance. Il s’agit donc d’une qualité humaine louable. Il n’est pas question ici d’affirmer que cette vertu n’a pas sa place dans l’enseignement. Il s’agit simplement de dénoncer la mise en avant unique de cette vertu humaniste comme solution nouvelle aux résultats catastrophiques de l’école française et l’utilisation d’un raisonnement une fois de plus fallacieux que l’on pourrait résumer ainsi : l’absence de résultats à l’école trouve son origine dans le manque de bienveillance des enseignants ; si les élèves échouent c’est car leurs enseignants sont mal disposés envers eux, leur octroient de mauvaises notes, les moquent, les rabaissent. C’est une contre-vérité énorme et dangereuse car elle plaît à l’opinion. Faute de vouloir se pencher honnêtement sur les raisons de l’échec de l’école (les méthodes pédagogiques inefficaces), les éducrates font d’une pierre deux coups : ils se dédouanent de toute responsabilité (les enseignants sont malveillants) tout en restant dans leur champ idéologique qui consiste à occulter le réel. Par exemple, supprimons les notes ou les évaluations négatives : l’institution est ravie car les statistiques internes vont monter, tout en s’octroyant les lauriers de l’humanisme. On pourra nous dire dans quelques temps : vous voyez, depuis que l’école est devenue bienveillante (bonnes notes à tout le monde) les résultats ont grimpé. Restera tout de même l’épineuse question des comparaisons internationales ; une solution à mon sens porteuse serait de ne plus y participer.

Mais puisque la question de la bienveillance est à l’ordre du jour, saisissons l'opportunité pour dépasser les poncifs ci-dessus parés d’un humanisme de pacotille ; il est vrai que la bienveillance manque cruellement dans l’Éducation Nationale mais pas de la façon que l’on nous décrit. 

Considérons les enseignants: ils sont le niveau zéro de la hiérarchie de cette usine à gaz, considérés comme de vils exécutants et qui pourtant tout au long des réformes qui disent la doxa, continuent contre vents et marées à tenir les classes, les élèves, leurs parents. Qui, chaque jour doivent affronter solitude, désarroi, agressions, découragement, manque de moyens devant des classes de plus en plus difficiles, des parents d’élèves de plus en plus intrusifs. Tout cela pour une reconnaissance sociale nulle et un salaire se réduisant comme peau de chagrin, parmi les plus bas en Europe. Où est la bienveillance dans cela ?

Considérons les élèves. Notre système est malveillant envers eux, on en raison de la méchanceté des enseignants, mais simplement parce que l’école ne parvient pas à les instruire tous. Notre système est malveillant enversles élèves parce qu’il ne leur permet pas de bénéficier de méthodes pédagogiques efficaces. Notre système est malveillant envers les élèves issus de classes sociales défavorisées car il ne les laisse de côté et refuse de prendre en compte les quantités de données probantes qui permettraient à leurs enseignants de les faire réussir. 

Non, la bienveillance ne consiste pas à faire croire aux élèves et à leurs parents qu’ils ont réussi quand c’est faux. Elle consiste à les faire véritablement réussir. Cela impliquerait une véritable et profonde remise en question des méthodes pédagogiques officielles, ainsi que le choix audacieux de s’appuyer sur les données probantes, plutôt que sur des considérations idéologiques devenues aujourd'hui obsolètes.

Oui, je suis d’accord pour parler de bienveillance à l’école, mais honnêtement et sans se voiler la face. L’école échoue depuis des années mais ce n’est pas à cause des enseignants. Elle échoue à instruire les élèves car elle échoue à former des enseignants efficaces et à leur donner les moyens de travailler correctement. L’enseignant est sans cesse culpabilisé, infantilisé et accusé de tous les maux ; il serait temps que les véritables décideurs assument enfin leurs responsabilités, et s’ils sont véritablement convaincus du rôle de l’école publique dans la société, prennent enfin des décisions allant dans le bon sens.