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samedi 4 juin 2022

La fabrique des huguenots. Patrick Cabanel 2022

 

J’ai assisté hier à une conférence de Patrick Cabanel à propos de son dernier livre, La fabrique des huguenots. Je m’y suis rendue sans avoir d’idée sur le contenu, c’est peut-être la meilleure façon d’écouter, pensant d’après le titre, qu’il y serait question des origines de la Réforme. J’ai découvert avec grand intérêt qu’il s’agissait d’une question qui me taraude depuis bien des années, celle de l’identité protestante. C'est une étude sur la construction de la mémoire huguenote au XIXème siècle.

Pourquoi cela m’interpelle ? Sans entrer dans les détails, je suis directement concernée, étant huguenote par filiation, issue d’une famille essentiellement gardoise. Car c’est bien de cela qu’il s’agit, l’identité huguenote étant en ce lieu précis et encore aujourd’hui, fondée en priorité sur l’appartenance à un peuple héroïque persécuté, beaucoup plus que sur une foi spécifique. Cela, je l’ai vu dans mon entourage proche ou plus lointain. La question qui me préoccupe depuis longtemps est le déséquilibre entre ce culte des racines et la conscience des spécificités spirituelles de la foi. J’ai depuis longtemps l’impression que l’identité se nourrit encore aujourd’hui de cette mémoire à laquelle on ajoute un soupçon de bien-pensance humanitaire. Cela est inquiétant car des Églises qui se vident de leur contenu spirituel sont à mon sens moribondes. Il est clair que le réveil ne passera pas par elles. Mais il faudrait sans doute faire la différence entre peuple et Église. 

Dans cet exposé mené avec brio, humour, simplicité, Patrick Cabanel, en étudiant la façon dont cette mémoire protestante s’est construite, aborde plus largement la notion de peuple protestant. Il met en exergue l’importance de la dimension historique dans la définition identitaire, à savoir la revendication du passé glorieux d’un peuple persécuté, ce qu’il nomme l’identité dans la persécution et dans la souffrance. Ce n’est certes pas propre aux protestants. Cet attachement à l’histoire est dans les Cévennes plus important qu’ailleurs. Il souligne l’importance qu'ont eue les pasteurs du XIXème siècle, pour la plupart de brillants érudits, en matière de recherche historique. Il évoque aussi la fabrication organisée des héros protestants, des lieux de mémoire, de commémoration, des objets conservés, des symboles. Contrairement à ce que l’on pourrait imaginer, ces figures symboliques ne sont pas imposées toutes seules, elles ont été portées en avant. Mais cela non plus, n’est pas spécifique aux figures protestantes.

Sans aller jusqu’à parler de catholicisation, il décrit la tentation d’alignement sur des pratiques, symboles, vocabulaire en usage chez les catholiques : les pèlerinages (moments de commémoration), les reliques (les objets historiques précieusement collectés tout au long du XIXème siècle par les pasteurs historiens), les objets symboles comme la croix huguenote.

Tout cela conduit à affirmer que l’identité protestante est plus liée à l’histoire qu’à la théologie. Comment ce détachement s’est-il produit, alors que la Réforme était au départ une révolution spirituelle ? Patrick Cabanel parle avec une grande justesse de la modernité de cette religion, avec son attachement à l’esprit des Lumières, ce qu’il appelle son lien avec le monde. C’est selon lui ce qui a causé sa perte ; à être trop dans le monde, elle s’y est perdue, elle s’y est dissoute. J’ajoute ici qu’aujourd’hui tout cela est consommé, le monde a envahi les temples et ces « huguenots historiques » ont succombé aux sirènes du politiquement correct.

Personnellement, je pense que l’Église sous cette forme est dépouillée de son essence originelle. Non que je sois hostile à l’idée du souvenir des événements du passé, mais l’identité historique ne doit pas prévaloir sur l’identité théologique. À mon sens, cela présente aussi le risque d’écarter les personnes ne se reconnaissant pas dans cette mémoire, même s’il peut arriver qu’il y ait une appropriation. Patrick Cabanel évoque très justement la mémoire historique comme ciment entre les différentes familles protestantes et fait remarquer qu’elle est propre à effacer les divergences théologiques qui ont fleuri tout au long du XIXème siècle. La situation est bien différente aujourd’hui.

En l’état actuel des choses, je pense que le réveil viendra des communautés évangéliques qui, elles, n’ont pas le même rapport identitaire à la mémoire et maintiennent le cap sur la parole de Dieu en prêchant en premier lieu un évangile personnel.

Je terminerai avec cette mention de Ruben Saillans que Patrick Cabanel apprécie particulièrement. Il s’agit de ce pasteur baptiste originaire de Saint-Jean du Gard, qui, en substance, osait dire lors d’une assemblée du Désert : « vous pouvez chanter La Cévenole (dont il était l’auteur des paroles) et ne pas être sauvés si vous n’avez pas accepté Christ comme votre sauveur ». Il avait pressenti la tournure que les choses prendraient.

C’était un exposé très clair et agréable à écouter, une mise en bouche pour la lecture de ce qui sera pour moi la lecture de l’été.

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