J’ai assisté hier à une conférence de
Patrick Cabanel à propos de son dernier livre, La fabrique des huguenots.
Je m’y suis rendue sans avoir d’idée sur le contenu, c’est peut-être la
meilleure façon d’écouter, pensant d’après le titre, qu’il y serait question
des origines de la Réforme. J’ai découvert avec grand intérêt qu’il s’agissait
d’une question qui me taraude depuis bien des années, celle de l’identité
protestante. C'est une étude sur la construction de la mémoire
huguenote au XIXème siècle.
Pourquoi cela m’interpelle ? Sans entrer dans les détails, je suis directement concernée, étant huguenote par filiation, issue d’une famille essentiellement gardoise. Car c’est bien de cela qu’il s’agit, l’identité huguenote étant en ce lieu précis et encore aujourd’hui, fondée en priorité sur l’appartenance à un peuple héroïque persécuté, beaucoup plus que sur une foi spécifique. Cela, je l’ai vu dans mon entourage proche ou plus lointain. La question qui me préoccupe depuis longtemps est le déséquilibre entre ce culte des racines et la conscience des spécificités spirituelles de la foi. J’ai depuis longtemps l’impression que l’identité se nourrit encore aujourd’hui de cette mémoire à laquelle on ajoute un soupçon de bien-pensance humanitaire. Cela est inquiétant car des Églises qui se vident de leur contenu spirituel sont à mon sens moribondes. Il est clair que le réveil ne passera pas par elles. Mais il faudrait sans doute faire la différence entre peuple et Église.
Dans cet exposé mené avec brio,
humour, simplicité, Patrick Cabanel, en étudiant la façon dont cette mémoire
protestante s’est construite, aborde plus largement la notion de peuple
protestant. Il met en exergue l’importance de la dimension historique dans la
définition identitaire, à savoir la revendication du passé glorieux d’un peuple
persécuté, ce qu’il nomme l’identité dans la persécution et dans la souffrance.
Ce n’est certes pas propre aux protestants. Cet attachement à l’histoire est dans
les Cévennes plus important qu’ailleurs. Il souligne l’importance
qu'ont eue les pasteurs du XIXème siècle, pour la plupart de brillants érudits, en matière de recherche historique. Il évoque aussi la fabrication organisée des héros
protestants, des lieux de mémoire, de commémoration, des objets conservés, des
symboles. Contrairement à ce que l’on pourrait imaginer, ces figures symboliques
ne sont pas imposées toutes seules, elles ont été portées en avant. Mais cela non plus, n’est pas spécifique aux figures protestantes.
Sans aller jusqu’à parler de
catholicisation, il décrit la tentation d’alignement sur des pratiques, symboles,
vocabulaire en usage chez les catholiques : les pèlerinages (moments de
commémoration), les reliques (les objets historiques précieusement collectés
tout au long du XIXème siècle par les pasteurs historiens), les objets symboles
comme la croix huguenote.
Tout cela conduit à affirmer que l’identité
protestante est plus liée à l’histoire qu’à la théologie. Comment ce détachement
s’est-il produit, alors que la Réforme était au départ une révolution
spirituelle ? Patrick Cabanel parle avec une grande justesse de la
modernité de cette religion, avec son attachement à l’esprit des Lumières, ce
qu’il appelle son lien avec le monde. C’est selon lui ce qui a causé sa
perte ; à être trop dans le monde, elle s’y est perdue, elle s’y est
dissoute. J’ajoute ici qu’aujourd’hui tout cela est consommé, le monde a envahi
les temples et ces « huguenots historiques » ont succombé aux sirènes
du politiquement correct.
Personnellement, je pense que
l’Église sous cette forme est dépouillée de son essence originelle. Non que je
sois hostile à l’idée du souvenir des événements du passé, mais l’identité historique
ne doit pas prévaloir sur l’identité théologique. À mon sens, cela présente
aussi le risque d’écarter les personnes ne se reconnaissant pas dans cette
mémoire, même s’il peut arriver qu’il y ait une appropriation. Patrick Cabanel
évoque très justement la mémoire historique comme ciment entre les différentes
familles protestantes et fait remarquer qu’elle est propre à effacer les
divergences théologiques qui ont fleuri tout au long du XIXème siècle. La
situation est bien différente aujourd’hui.
En l’état actuel des choses, je pense
que le réveil viendra des communautés évangéliques qui, elles, n’ont pas le
même rapport identitaire à la mémoire et maintiennent le cap sur la parole de
Dieu en prêchant en premier lieu un évangile personnel.
Je terminerai avec cette mention de
Ruben Saillans que Patrick Cabanel apprécie particulièrement. Il s’agit de ce
pasteur baptiste originaire de Saint-Jean du Gard, qui, en substance, osait dire lors d’une assemblée du Désert : « vous pouvez chanter La Cévenole (dont
il était l’auteur des paroles) et ne pas être sauvés si vous n’avez pas accepté
Christ comme votre sauveur ». Il avait pressenti la tournure que les
choses prendraient.
C’était un exposé très clair et
agréable à écouter, une mise en bouche pour la lecture de ce qui sera pour moi
la lecture de l’été.
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