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jeudi 22 septembre 2022

André Félix, curé à Mérindol

    Au XVIIe siècle Lourmarin et Mérindol sont les deux bastions du protestantisme provençal.

        À Mérindol, André Félix est déjà curé avant 1668. Jusqu’ à la révocation de l’édit de Nantes, il va faire preuve de beaucoup de zèle, malgré une population à majorité huguenote. Il doit à la fois galvaniser les quelques catholiques de sa paroisse et tenter d’y ramener les protestants. Pierre Motet, curé de Lourmarin, dans une situation quasi identique, évoquait ses difficultés dans un questionnaire posé par l’évêque Grimaldi : une vie modeste avec une portion congrue de 200 livres, un casuel réduit à presque rien du fait de la faible proportion de catholiques et des huguenots occupés à l’empêcher de faire le prône. Dans les villages très protestants de Provence comme Mérindol, les curés sont soutenus par leur hiérarchie ainsi que par la Société pour la propagation de la foi.[1]

        En 1668, André Félix participe au conseil de la communauté au titre de conseiller catholique, à côté de son frère Étienne, originaire de Mallemort. À Mérindol, en 1683, sur 150 maisons, 15 seraient occupées par des catholiques. Il n'en reste pas moins qu'en 1671, la Compagnie pour la Propagation de la Foi se plaint de sa non-résidence et décide d'en faire part à l'évêque de Cavaillon. Peyre, dans son Histoire de Mérindol, nous apprend que vers 1677, des plaintes à son sujet sont à nouveau adressées à l'évêque. Ceci expliquerait peut-être l’existence d’un dossier que j’ai eu en mains, intitulé "Pièces justifiant que le vicaire de Mérindol ne néglige rien en ce qui concerne les religionnaires ".  Il n’est pas daté précisément ; on sait seulement qu’il est postérieur à 1677. Les pièces qui le composent sont précédées d'une introduction signée par Félix lui-même, décrivant le contenu de chaque élément et mentionnant comme témoins de son zèle, le vicaire général de l'évêque et le chanoine Ribert. Félix s'adresse à l'évêque en ces termes à propos des habitants de Mérindol : [...] 

« lorsqu’ils ont vouleu plaider pour sçavoir s'ils pourront chanter leurs psaumes hors du temple, je l'ay supplié de ne leur accorder plus aucune des permissions qu'on a accoustumé de donner dans le diocèze. »

        La première pièce concerne la légitimité du ministre Théophile Poyet, dont Félix prouve qu'il s'y est intéressé et l'a vérifiée. Il s'appuie sur la déclaration interdisant aux ministres de prêcher hors de leur lieu de résidence. Par une sommation du 9 octobre 1666, il a demandé à Théophile Poyet les preuves de son droit d'exercice à Mérindol. En réponse, le ministre lui a exhibé l'article 24 du synode de Manosque de mars 1665 l’affectant à Mérindol.

        La deuxième pièce concerne l'année 1675 : elle relate l'interruption d'un prêche de Jean Bernard, ministre venu à Mérindol le 21 janvier 1674. Jean Bernard est un pasteur très talentueux et fort renommé dont l'historien catholique Achard a souligné les qualités intellectuelles en écrivant de lui « qu'une probité épurée, un caractère bienfaisant, une affabilité prévenante faisaient aimer Bernard par les catholiques mêmes ». Le récit est fait ici par Joachim Jury, viguier et lieutenant de juge catholique, à la demande de Félix avec qui il est allé interrompre la prédication. Il s'appuie toujours sur la déclaration de 1669 à propos de la résidence des ministres. Bernard était ministre de Manosque, et n'avait donc pas le droit de prêcher ailleurs. Avec trois autres personnes, Félix s'est donc rendu ce dimanche matin au temple, où il y avait "grand nombre de peuple", évalué dans sa note introductive à 1500 à 1600 individus. Ce chiffre semble d'abord excessif, surtout si nous considérons l'évaluation de 900 protestants pour 1682, et si nous pensons que Félix avait tout intérêt à amplifier les choses. Cependant, il faut tenir compte de l'exceptionnelle renommée du pasteur de Manosque, ainsi que de la rareté des lieux de culte en Provence en cette année 1674 ; autant de choses qui ne peuvent qu'attirer au prêche les protestants des alentours. L'intervention se passe sans heurt. Bernard obtempère et cesse sa prédication, alors qu'"il y eut un murmure parmi le peuple".

        La troisième pièce traite de l'affaire du synode de Mérindol tenu en septembre 1677, illustrée par 4 éléments.

- Félix, gardien de la légalité, a réclamé l'autorisation nécessaire à la tenue du synode ; le récit est fait par le ministre alors en place : Théophile Poyet. Cette autorisation, explique-t-il, se trouve chez Étienne de Chaussegros, seigneur de Mimet, député protestant au synode. Félix se fait insistant, "refusant de se contenter du prétendu extrait de l'ordonnance de Grignan, par maître Boer". Ce dernier est un notaire de Mérindol dont la qualité de protestant ne peut que susciter la méfiance du curé. Enfin, Félix profère une menace : révéler l'assemblée synodale du 18 septembre 1677 et la prédication du même jour faite par le pasteur Maurice, étranger à Mérindol, donc contrevenant à la loi. Poyet termine en répétant ce qu'il a déjà dit : la pièce réclamée se trouve chez le sieur de Mimet, commissaire protestant désigné par le comte de Grignan pour ce synode.

- À cela s'ajoute un récit fait par Étienne de Chaussegros. Il rend compte de la visite chez lui du curé Félix, de sa requête ainsi que des menaces, les mêmes qui avaient été adressées à Poyet. Suit une copie de cette permission, faite à Grignan le 9 septembre 1677, autorisant l'assemblée le 19 du même mois.

- Enfin est exhibé un extrait notarié prouvant la nomination d’Étienne Villet comme pasteur à Mérindol. C'est un document très éloquent sur la personnalité de ce ministre. Il connaît bien Félix et ses harcèlements incessants. Voulant éviter la tracasserie subie par Poyet en 1666, il fournit avant qu'on la lui demande, la justification de sa nomination en ce lieu : l'article 34 du synode de Mérindol de septembre 1677. Il le fait par le biais d'une sommation datée du 9 octobre 1677 avec exhibition de l'article, « ledit sieur Félix estant coustumé non seullement de fere observer les édits de Sa Majesté, mais même passer souvant outre avec tout rigueurs, sans nécessité ».

- La copie de cet article 34 forme le quatrième élément, et nomme Villet à Mérindol pour une année. Il est alors ministre et réside à Lourmarin. Aucune contribution n'est demandée aux habitants de Mérindol, ceux de Lourmarin continuant de pourvoir à son entretien.

            S'agissant de pièces justificatives probablement destinées à la hiérarchie ecclésiastique, se pose la question de leur fiabilité. Félix a pris le soin, et c'est bien compréhensible, de présenter des récits rédigés par d'autres personnes que lui : d'abord Joachim Jury, catholique, Étienne de Chaussegros, protestant, puis Théophile Poyet, pasteur de Mérindol. Le texte de Villet est un acte notarié. Il présente pour le curé un double intérêt : d'une part la citation le concernant est une bonne preuve de son zèle, d'autre part, l'attitude de Villet 11 ans après l'affaire de Poyet, est pour lui un exemple de la crainte qu'il a réussi à inspirer aux pasteurs. Que penser de l'attitude des protestants (Théophile Poyet et Étienne de Chaussegros) qui ont contribué à la démarche de Félix en fournissant des rapports écrits ? Avaient-ils vraiment le choix de refuser ?  Il est certain que non.

            Un enseignement plus large se dégage de tout cela. C'est l'ardeur antiprotestante qui anime le curé de Mérindol, confirmée par le témoignage d’Étienne Villet que nous pouvons considérer comme sincère. Faute de pouvoir convaincre les protestants, André Félix fait appliquer la loi au sens le plus strict. Cependant, il a fort à faire, car le groupe protestant de Mérindol se révèle solide et solidaire, n'ayant pas peur d'affronter et parfois de susciter des incidents. Parmi l'ensemble des curés que j’ai étudiés dans les villages de basse Provence occidentale, Félix est l’un des plus actifs. Les autres apparaissent de manière beaucoup plus effacée.

             Le clergé séculier de Provence se caractérise par un encadrement épiscopal solide, auxiliaire actif des intérêts royaux. Mérindol, phare du protestantisme provençal, voit converger les assauts de deux évêques, ceux d'un curé motivé, et la surveillance active d’une société de zélés catholiques. S’y ajoutent les efforts de bien d'autres, au nombre desquels un moine de Cadenet. Le Clergé régulier fut un autre acteur non négligeable dans la mission de reconquête que s'était fixée l'Église Catholique.

 

Pour en savoir plus :

Forcez-les d'entrer - Les abjurations des protestants de Basse Provence occidentale, 1661-1685, Françoise Appy

La frontière religieuse à Cadenet: 1598-1685, Françoise Appy



[1]Proche parente de la Compagnie du Saint Sacrement, la Société pour la propagation de la foi d’Aix, fondée entre 1652 et 1660 se définit ainsi : « … la Provence était encore remplie de quantités de religionnaires qui provignoient et s’estendoient même parfois. Cela fit concevoir de zélés catholiques de la province les premières pensées de surveiller dans la vigne du seigneur, pour empescher a ladvenir de pareilles entreprises. »

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