Au XVIIe siècle Lourmarin et Mérindol sont les deux bastions du protestantisme provençal.
À Mérindol, André Félix est déjà curé
avant 1668. Jusqu’ à la révocation de l’édit de Nantes, il va faire
preuve de beaucoup de zèle, malgré une population à majorité huguenote. Il doit
à la fois galvaniser les quelques catholiques de sa paroisse et tenter d’y
ramener les protestants. Pierre Motet, curé de Lourmarin, dans une situation
quasi identique, évoquait ses difficultés dans un questionnaire posé par
l’évêque Grimaldi : une vie modeste avec une portion congrue de 200
livres, un casuel réduit à presque rien du fait de la faible proportion de
catholiques et des huguenots occupés à l’empêcher de faire le prône. Dans les
villages très protestants de Provence comme Mérindol, les curés sont soutenus
par leur hiérarchie ainsi que par la Société pour la propagation de la foi.[1]
En 1668, André Félix participe au
conseil de la communauté au titre de conseiller catholique, à côté de son frère
Étienne, originaire de Mallemort. À Mérindol, en 1683, sur 150 maisons, 15
seraient occupées par des catholiques. Il n'en reste pas moins qu'en 1671, la
Compagnie pour la Propagation de la Foi se plaint de sa non-résidence et décide
d'en faire part à l'évêque de Cavaillon. Peyre, dans son Histoire de
Mérindol, nous apprend que vers 1677, des plaintes à son sujet sont à
nouveau adressées à l'évêque. Ceci expliquerait peut-être l’existence d’un
dossier que j’ai eu en mains, intitulé "Pièces justifiant que le vicaire
de Mérindol ne néglige rien en ce qui concerne les religionnaires ". Il n’est pas daté précisément ; on sait
seulement qu’il est postérieur à 1677. Les pièces qui le composent sont
précédées d'une introduction signée par Félix lui-même, décrivant le contenu de
chaque élément et mentionnant comme témoins de son zèle, le vicaire général de
l'évêque et le chanoine Ribert. Félix s'adresse à l'évêque en ces termes à
propos des habitants de Mérindol : [...]
« lorsqu’ils
ont vouleu plaider pour sçavoir s'ils pourront chanter leurs psaumes hors du
temple, je l'ay supplié de ne leur accorder plus aucune des permissions qu'on a
accoustumé de donner dans le diocèze. »
La première pièce concerne la
légitimité du ministre Théophile Poyet, dont Félix prouve qu'il s'y est
intéressé et l'a vérifiée. Il s'appuie sur la déclaration interdisant aux
ministres de prêcher hors de leur lieu de résidence. Par une sommation du 9
octobre 1666, il a demandé à Théophile Poyet les preuves de son droit
d'exercice à Mérindol. En réponse, le ministre lui a exhibé l'article 24 du
synode de Manosque de mars 1665 l’affectant à Mérindol.
La deuxième pièce concerne l'année
1675 : elle relate l'interruption d'un prêche de Jean Bernard, ministre venu à
Mérindol le 21 janvier 1674. Jean Bernard est un pasteur très talentueux et
fort renommé dont l'historien catholique Achard a souligné les qualités intellectuelles
en écrivant de lui « qu'une probité épurée, un caractère bienfaisant,
une affabilité prévenante faisaient aimer Bernard par les catholiques mêmes ».
Le récit est fait ici par Joachim Jury, viguier et lieutenant de juge
catholique, à la demande de Félix avec qui il est allé interrompre la
prédication. Il s'appuie toujours sur la déclaration de 1669 à propos de la
résidence des ministres. Bernard était ministre de Manosque, et n'avait donc
pas le droit de prêcher ailleurs. Avec trois autres personnes, Félix s'est donc
rendu ce dimanche matin au temple, où il y avait "grand nombre de peuple",
évalué dans sa note introductive à 1500 à 1600 individus. Ce chiffre semble
d'abord excessif, surtout si nous considérons l'évaluation de 900 protestants
pour 1682, et si nous pensons que Félix avait tout intérêt à amplifier les
choses. Cependant, il faut tenir compte de l'exceptionnelle renommée du pasteur
de Manosque, ainsi que de la rareté des lieux de culte en Provence en cette
année 1674 ; autant de choses qui ne peuvent qu'attirer au prêche les
protestants des alentours. L'intervention se passe sans heurt. Bernard
obtempère et cesse sa prédication, alors qu'"il y eut un murmure parmi le
peuple".
La troisième pièce traite de l'affaire
du synode de Mérindol tenu en septembre 1677, illustrée par 4 éléments.
- Félix, gardien de la légalité, a
réclamé l'autorisation nécessaire à la tenue du synode ; le récit est fait par
le ministre alors en place : Théophile Poyet. Cette autorisation, explique-t-il,
se trouve chez Étienne de Chaussegros, seigneur de Mimet, député protestant au
synode. Félix se fait insistant, "refusant de se contenter du prétendu
extrait de l'ordonnance de Grignan, par maître Boer". Ce dernier est
un notaire de Mérindol dont la qualité de protestant ne peut que susciter la
méfiance du curé. Enfin, Félix profère une menace : révéler l'assemblée
synodale du 18 septembre 1677 et la prédication du même jour faite par le
pasteur Maurice, étranger à Mérindol, donc contrevenant à la loi. Poyet termine
en répétant ce qu'il a déjà dit : la pièce réclamée se trouve chez le sieur de
Mimet, commissaire protestant désigné par le comte de Grignan pour ce synode.
- À cela s'ajoute un récit fait par Étienne
de Chaussegros. Il rend compte de la visite chez lui du curé Félix, de sa
requête ainsi que des menaces, les mêmes qui avaient été adressées à Poyet.
Suit une copie de cette permission, faite à Grignan le 9 septembre 1677,
autorisant l'assemblée le 19 du même mois.
- Enfin est exhibé un extrait notarié
prouvant la nomination d’Étienne Villet comme pasteur à Mérindol. C'est un
document très éloquent sur la personnalité de ce ministre. Il connaît bien
Félix et ses harcèlements incessants. Voulant éviter la tracasserie subie par
Poyet en 1666, il fournit avant qu'on la lui demande, la justification de sa
nomination en ce lieu : l'article 34 du synode de Mérindol de septembre 1677.
Il le fait par le biais d'une sommation datée du 9 octobre 1677 avec exhibition
de l'article, « ledit sieur Félix estant coustumé non seullement de
fere observer les édits de Sa Majesté, mais même passer souvant outre avec tout
rigueurs, sans nécessité ».
- La copie de cet article 34 forme le
quatrième élément, et nomme Villet à Mérindol pour une année. Il est alors
ministre et réside à Lourmarin. Aucune contribution n'est demandée aux
habitants de Mérindol, ceux de Lourmarin continuant de pourvoir à son
entretien.
S'agissant
de pièces justificatives probablement destinées à la hiérarchie ecclésiastique,
se pose la question de leur fiabilité. Félix a pris le soin, et c'est bien
compréhensible, de présenter des récits rédigés par d'autres personnes que lui
: d'abord Joachim Jury, catholique, Étienne de Chaussegros, protestant, puis
Théophile Poyet, pasteur de Mérindol. Le texte de Villet est un acte notarié.
Il présente pour le curé un double intérêt : d'une part la citation le
concernant est une bonne preuve de son zèle, d'autre part, l'attitude de Villet
11 ans après l'affaire de Poyet, est pour lui un exemple de la crainte qu'il a
réussi à inspirer aux pasteurs. Que penser de l'attitude des protestants
(Théophile Poyet et Étienne de Chaussegros) qui ont contribué à la démarche de
Félix en fournissant des rapports écrits ? Avaient-ils vraiment le choix de
refuser ? Il est certain que non.
Un
enseignement plus large se dégage de tout cela. C'est l'ardeur antiprotestante
qui anime le curé de Mérindol, confirmée par le témoignage d’Étienne Villet que
nous pouvons considérer comme sincère. Faute de pouvoir convaincre les protestants,
André Félix fait appliquer la loi au sens le plus strict. Cependant, il a fort
à faire, car le groupe protestant de Mérindol se révèle solide et solidaire,
n'ayant pas peur d'affronter et parfois de susciter des incidents. Parmi
l'ensemble des curés que j’ai étudiés dans les villages de basse Provence
occidentale, Félix est l’un des plus actifs. Les autres apparaissent de manière
beaucoup plus effacée.
Le clergé séculier de Provence se caractérise
par un encadrement épiscopal solide, auxiliaire actif des intérêts royaux. Mérindol,
phare du protestantisme provençal, voit converger les assauts de deux évêques,
ceux d'un curé motivé, et la surveillance active d’une société de zélés
catholiques. S’y ajoutent les efforts de bien d'autres, au nombre desquels un
moine de Cadenet. Le Clergé régulier fut un autre acteur non négligeable dans
la mission de reconquête que s'était fixée l'Église Catholique.
✽
Pour en savoir plus :
Forcez-les d'entrer - Les abjurations des protestants de Basse Provence occidentale, 1661-1685, Françoise Appy
La frontière religieuse à Cadenet: 1598-1685, Françoise Appy
[1]
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