Souvenons-nous de tous ces Marcel Sicard qui sont partis au combat sans jamais vraiment imaginer qu’ils n’en reviendraient pas. Comme l’a écrit Henri Barbusse, « Ce ne sont pas des soldats: ce sont des hommes. Ce ne sont pas des aventuriers, des guerriers, faits pour la boucherie humaine[...] Ce sont des laboureurs et des ouvriers qu'on reconnaît dans leurs uniformes. Ce sont des civils déracinés »[1]
Pendant la guerre de 14-18, il est intégré au 116ème
bataillon des Chasseurs alpins. Classe 1918, matricule 1164 (recrutement Pont
Saint Esprit).
« Bien cher parents,
Deux mots pour vous donnez de mes nouvelles qui sont assez bonnes pour le moment. Désire de tout cœur que ma présente vous en trouve tous de même. Suis toujours a faire le charpentier. On monte des baraques Adrien. C'est le filon ou on en fait pas trop et pas pénible. Je pense venir bientôt en perme mais je ne sais pas le jour. J'ai passé le conseil de réforme et on ma mis apte a faire campagne alors vous voyez que j'ai changé. Il semble qu'on ma couflé avec un soufflêt, je suis bien le double que quand j'étais en en convales, mais seulement je me suis soigné ; comme lait œufs et fortifiant, j'ai pris quelque chose ! Car le major m'avait dit que si je me soigné pas, je serais bientôt poitrinaire et alors, pensé si je voulais arrivé à être dans cet état ! Mais maintenant ça va très bien, je peux aller voir fritz, je pense que je pourrais le repousser.
Je pense que Gaston doit être toujours parmi vous. J'aimerais de pouvoir venir passé quelques jours avec lui, ce qui pourrait arrivé.
Et le poulain, que fait-il ? Il doit sauter salement avec les chaleurs, il ne doit pas rester trop tranquille. Je vais vous quittez.
Recevez cher parents frères et sœurs les meilleurs baisers et caresses.
Votre fils et frère, Marcel.
Bien le bonjour aux cousins et cousines. »
Il n’aura pas l’occasion de revoir le poulain ni sa famille ; malgré son assurance de repousser fritz, un peu plus d’un mois plus tard, il tombera sous le feu ennemi, dans l’Aisne.
Voici dans quelles circonstances il perdit la vie, ce 18
septembre 1918. Le journal de marche du 116ème bataillon de chasseurs
alpins [1]
raconte cette terrible journée.
… Le bataillon quitte ses emplacements à 23 h et traverse en petites
colonnes très espacées la région dévastée de Roupy Sary, franchissant sans
dommages des zones battues par l’artillerie, qu’on ne peut éviter. (17/09)
18/09
À 2 h, tout le monde est en place dans la parallèle de départ. L’ennemi
est à quelques centaines de mètres, le chemin dans le talus duquel se terrent
les chasseurs est pris d’enfilade par des mitrailleurs, il pleut. À l’heure H, 5 h 25, gradés et chasseurs mouillés
car la pluie continue de tomber, s’élancent hors du chemin creux. Il fait nuit
noire, on se dirige à la boussole derrière le barrage roulant vers les
mitrailleuses qui claquent avec intensité.
En 1ère vague la 2ème Cie (capitaine Duhamel) et 3ème
Cie, la 1ère Cie, et un peloton de mitrailleuses avec le lieutenant
Julien. De nombreuses fusées vertes et rouges jaillissent et le barrage boche
se déclenche n’arrêtant nullement l’élan des vagues d’assaut. Les premiers prisonniers
faits sont des mitrailleurs restés à leur place jusqu’à la dernière minute. Un
épais brouillard augmente encore l’obscurité, les liaisons et l’orientation
sont très difficiles. Après une forte résistance à la voie ferrée forcée par le
tir en marchant, des mitrailleuses et des fusils mitrailleurs et où de nouveaux
prisonniers furent faits, l’objectif intermédiaire est atteint. Pendant cette
progression, un boche, après avoir fait « Kamarade », blesse le
sous-lieutenant Monteux à la figure.
À 6 h 30, l’avance continue, le bois Margerin est contourné par le sud-est,
les fractions de gauche et la compagnie de soutien le traversent. La
progression est difficile, le bois étant un chaos inextricable de ronces, fils
de fer, arbres abattus, branchages. Le caporal Deygas, à la tête de 6
pionniers, fait 15 prisonniers, dont un officier.
À la sortie du bois, 200 m à peine restent à franchir pour s’emparer de
la tranchée, objectif final, mais le feu des mitrailleuses est de plus en plus
nourri, la progression continue néanmoins et les vagues d’assaut viennent se
heurter à un double réseau de fil de fer barbelé intact, qu’on ne connaissait
pas. Protégée par nos mitrailleuses et nos VB[2], la
première vague essaie de franchir ce réseau, les boches lèvent les bras, mais
se ressaisissent peu après, leurs mitrailleuses crépitent à nouveau, fauchant
notre première vague. Le capitaine
Duhamel et une dizaine de chasseurs sont tués, une cinquantaine sont
blessés. Les chefs de section font replier leurs fractions en rampant et sous
le feu des mitrailleuses qui rasent le sol, une ligne de parapets individuels
s’établit.
L’ennemi s’acharne sur les blessés. Le brancardier Maurin veut malgré
tout leur porter secours, il s’avance en agitant son brassard et est abattu
d’une balle après avoir terminé son deuxième pansement.
À la nuit, le bataillon se reforme sur les lisières du Bois Margerin et
la préparation est reprise sur la tranchée ennemie. Le sous-lieutenant Vanemhen
commandant la 1ère Cie est blessé.
Ses restes reposent au carré de corps restitués du cimetière protestant de Saint-Chaptes.
[1] http://www.memoiredeshommes.sga.defense.gouv.fr/fr/ark:/40699/e005277eaaddfa5c/5277eaaf0ca6f
[2] VB
Grenade à fusil française (du nom de son inventeur Vivien Bessières)
[1] Henri
BARBUSSE (1873-1935), Le Feu, journal d’une escouade (1916).
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