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mercredi 9 avril 2025

L'abjuration des chenilles

Voici un titre qui en étonnera plus d’un, surtout lorsque l’on sait qu’une abjuration est l’acte officiel de renoncement à une religion. Nous sommes ici au XVIIème siècle, en 1630 exactement, dans le village provençal de Cadenet à une époque où catholiques et protestants cohabitaient, plus ou moins bien selon les endroits et les circonstances.

L’histoire qui va suivre est un récit d’édification de source catholique. C’est un genre littéraire populaire destiné à relater des conversions au catholicisme ou bien à montrer la réelle supériorité de cette religion par des exemples tirés de la vie courante. Ce moyen de catholicisation ou re-catholicisation était fréquemment utilisé lors missions.

Ce récit est écrit par Jean Monnier de Pertuis, né en 1630, doyen des prêtres de l'église paroissiale Saint-Nicolas de Pertuis. Il y avait à Cadenet une communauté protestante, minoritaire numériquement. En 1656, la population catholique est évaluée à 2308 catholiques pour 199 protestants.

Deux habitants de Cadenet, l’un catholique, l’autre protestant s'étaient associés pour élever des vers à soie. Cette association témoigne au passage que des liens pouvaient exister entre les deux communautés.  L’affaire débute bien. Mais un jour, les arbres fruitiers du pays viennent à subir une invasion de chenilles. À la demande des habitants, le curé intervient. Une fois sur place, après avoir invoqué les saints, il asperge d'eau bénite les arbres et le champ ; puis, il demande à Dieu d'envoyer les chenilles en un lieu où elles ne pourront nuire à personne. Le protestant assiste à la scène. De retour, il se moque de la cérémonie et la parodie en mouillant une branche qu'il agite sur les vers à soie. Deux jours après, tous les vers meurent. L'associé catholique se dit ruiné à cause de la religion de son partenaire et porte l'affaire devant le juge Joannis, de Pertuis. Celui-ci, ne voulant pas envenimer les choses, conseille un arrangement à l'amiable, afin d'éviter que l'affaire n'aille devant le Parlement. Inquiet, le huguenot accepte de dédommager le catholique. Mais néanmoins, il ne renonce pas à sa foi réformée. Peu de temps après, il meurt.  L’histoire s’achève ainsi, révélant deux enseignements très clairs. Tout d’abord, l'irrespect des rites de l'Église Catholique est puni, ici par la ruine de l'affaire, ce qui devrait dissuader les catholiques de se lier en affaires avec des protestants. Ensuite, l'entêtement (l'opiniâtreté comme on disait à l'époque) du protestant dans sa foi, se termine par la mort de celui-ci. On peut imaginer lors des missions, la lecture de ce texte aux villageois et l'effet que cela pouvait avoir, à la fois chez les catholiques mais aussi chez certains protestants. 

Ce récit, à l’époque où j’étudiais les abjurations des protestants de Provence, avait, par son titre, immédiatement capté mon attention. La confusion entre les termes abjuration et adjuration, était très fréquente à l’époque. Lors du dépouillement des actes d’abjuration, je l’ai constatée à maintes reprises. Bien sûr, il faut comprendre ici adjuration, ce qui est une invocation à Dieu, dans le cadre d'une demande bien particulière, comme par exemple chasser les démons du corps d'un être humain ou animal. Ici, il s’agissait de mettre fin à l’invasion des insectes nuisibles aux plantations.

Bien des affaires similaires furent portées devant les tribunaux, concernant les moqueries protestantes au sujet des rites papistes. Si cette forme de défense nous fait plutôt sourire aujourd'hui, ce n'était pas le cas à l'époque, où l'Église jugeait ces pratiques comme relevant de l'irrespect, du blasphème et méritant à ce titre une punition.

Françoise Appy 9 avril 2025

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